4 - Ça n'est pas des maths.

Pham Frédéric
L'exclamation naïve d'une écolière me fournit le point de départ d'une réflexion-témoignage sur la démarche de l'auteur en tant qu'enseignant de mathématiques : l'image des maths qu'elle a envie de transmettre, ses déboires et succès, ses efforts pour "prendre les étudiants comme ils sont" et comment tout cela m'amène à "détricoter'' sans cesse sa compréhension des mathématiques, selon le principe que "les maths ne sont pas des maths" ! C'était en juin 1997, dans ce merveilleux endroit qu'est le parc Valrose (campus de la Faculté des Sciences de l'Université de Nice). L'auteur assistait à la finale du "rallye mathématique" de l'Académie. Le parc était plein d'enfants (élèves des lycées et collèges) se livrant à toutes sortes d'activités : les uns tendant des cordes entre les arbres du parc, d'autres empilant d'étranges constructions en carton, etc., tout cela en équipe (car le "rallye" est une compétition entre classes, pas une compétition individuelle). Ils étaient là à bavarder, petit groupe de collègues (professeurs de l'enseignement secondaire ou d'université), échangeant leurs impressions sur ce qu'ils observaient (s'émerveillant par exemple de la capacité d'organisation de certains groupes d'élèves). Soudain une autre collègue arrive, hilare : "- Vous savez ce qu'ils m'ont dit, les gamins ? Je leur demande "Alors, ça vous plaît ? - Oh oui madame, ça nous plaît ! - Ça nous plaît, mais ça n'est pas des maths ! - Ah bon ? Pourquoi dites-vous que ça n'est pas des maths ? - Ça n'est pas des maths, car il faut réfléchir !" Ils ont tous bien rit, et souvent par la suite F. Pham fait rire des collègues en leur racontant cette histoire. Sans doute derrière ce rire se cache-t-il des sentiments mêlés ("voilà quelle idée ils se font des maths, n'est-ce pas un peu triste, et comment en sommes-nous arrivés là ?', etc., etc.)." Mais au fil des années, la phrase "Ça n'est pas des maths", car il faut réfléchir ! a fait son chemin dans son esprit. Et si au lieu d'en rire (ou d'en pleurer), il prenait cette phrase pour ce qu'elle était dans la bouche de cet enfant : l'expression d'une évidence ? évidence paradoxale, inacceptable pour un mathématicien, mais d'autant plus féconde qu'elle est inacceptable et paradoxale, comme un "koan" offert par un maître zen à son disciple 1 ! Au cas où il serait tenté de l'oublier, combien de fois ses élèves, ses collègues ne se chargent-ils pas de le lui rappeler, en prononçant la phrase magique "ça n'est pas des maths" ! Quelle richesse dans cette phrase, pour peu qu'on s'interroge sur l'état d'esprit (le nôtre, comme celui de l'interlocuteur) qui pousse à la prononcer ! Si vous êtes mathématicien, vous avez souvent l'occasion de l'entendre, ou éprouvez souvent l'envie de la prononcer ; et presque toujours sur un ton passionné ! Pourquoi cette passion ? A-t-on jamais entendu quelqu'un s'exclamer avec véhémence "ça n'est pas de la géographie" ? ou bien "ça n'est pas de la gymnastique" ? Alors pourquoi les maths ? Sont-elles à ce point fragiles qu'elles demandent sans cesse à être protégées contre "ce qui n'est pas des maths" ?" L'auteur se contente de poser la question. Un "koan" n'est pas un sujet de dissertation philosophique, c'est un outil d'interrogation permanente qui nous est proposé à titre personnel, et il ne tient qu'à nous de lui faire jouer un rôle dans notre vie, ou de l'ignorer si décidément il ne nous inspire pas. Il voudrait, quant à lui, vous raconter quel rôle le koan "ça n'est pas des maths, car il faut réfléchir" joue depuis quelques années dans sa vie de mathématicien. Mais il doit faire commencer son histoire de nombreuses années plus tôt...

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Pham Frédéric

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Publié le 9 janvier 2024
Mis à jour le 9 janvier 2024